Le mendiant, Victor Hugo : analyse linéaire

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Voici une lecture linéaire du poème « Le Mendiant » issu du cinquième livre des Contemplations de Victor Hugo.

Dans Les Contemplations, Victor Hugo donne une double dimension à sa poésie. Soucieuse du sort des misérables et des nécessiteux, sa poésie est une voix pour conter les injustices de son temps. Mais c’est aussi une poésie qui souhaite écouter le lyrisme du monde et sa magie. (Voir la fiche de lecture des Contemplations de Victor Hugo)

Le poème « Le Mendiant », issu du cinquième livre des Contemplations, est particulièrement intéressant car il met en évidence ces deux aspects du recueil.

Texte étudié

Un pauvre homme passait dans le givre et le vent.
Je cognai sur ma vitre ; il s’arrêta devant
Ma porte, que j’ouvris d’une façon civile.
Les ânes revenaient du marché de la ville,
Portant les paysans accroupis sur leurs bâts.
C’était le vieux qui vit dans une niche au bas
De la montée, et rêve, attendant, solitaire,
Un rayon du ciel triste, un liard de la terre,
Tendant les mains pour l’homme et les joignant pour Dieu.
je lui criai : « Venez vous réchauffer un peu.
Comment vous nommez-vous ? » Il me dit : « Je me nomme
Le pauvre. » Je lui pris la main : « Entrez, brave homme. »
Et je lui fis donner une jatte de lait.
Le vieillard grelottait de froid ; il me parlait,
Et je lui répondais, pensif et sans l’entendre.
« Vos habits sont mouillés », dis-je, « il faut les étendre ,
Devant la cheminée. » Il s’approcha du feu.
Son manteau, tout mangé des vers, et jadis bleu,
Étalé largement sur la chaude fournaise,
Piqué de mille trous par la lueur de braise,
Couvrait l’âtre, et semblait un ciel noir étoilé.
Et, pendant qu’il séchait ce haillon désolé
D’où ruisselait la pluie et l’eau des fondrières,
Je songeais que cet homme était plein de prières,
Et je regardais, sourd à ce que nous disions,
Sa bure où je voyais des constellations.

Problématique

Comment, dans « Le mendiant », Victor Hugo conteste-t-il les injustices tout en dépassant la réalité prosaïque pour accéder au sens symbolique du monde ?

Plan linéaire :

Dans une première partie, des vers 1 à 9, le poète rencontre un mendiant dans un environnement hostile.

Dans une deuxième partie, des vers 10 à 17, le poète donne une dimension alerte et vivante à son poème qu’il dramatise comme une scène de théâtre.

Dans une troisième partie, des vers 18 à 26, le mendiant se métamorphose sous le regard attentif du poète.

I – La rencontre du poète et du mendiant

Vers 1 à 9

Le poème s’ouvre sur une périphrase désignant le mendiant : « Un pauvre homme ».

Le dénuement du mendiant est renforcée par le climat hostile : « le givre et le vent ».

Le poète se montre plein de sollicitude à l’égard du mendiant : « Je cognai sur ma vitre ». Les rôles sont inversés puisque ce n’est pas le mendiant qui frappe à la porte comme on l’attendrait mais le poète qui est acteur de cette rencontre.

La première personne du singulier « je » ainsi que les déterminants possessifs (« ma vitre », « ma porte ») accentuent la dimension autobiographique du poème et tendent à l’inscrire dans le réel.

Le poète transcende les différences sociales pour porter assistance aux plus faibles comme l’indique le verbe « ouvrir » et le complément circonstanciel de manière « d’une façon civile ».

Aux vers 4 et 5, Victor Hugo dresse une peinture de la vie rurale à la manière des peintres de Barbizon comme Camille Corot : « les ânes revenaient du marché de la ville / Portant les paysans accroupis sur leurs bâts ».

Les termes employés, comme « bâts » ou « niche » sont précis et révèlent le souci d’une description réaliste d’un espace rural.

L’imparfait de description (« revenaient », « c’était ») donne au rythme une lenteur qui fait écho à la simplicité champêtre.

Dans ce décor rural et réaliste, la posture du mendiant est assimilable à celle du poète romantique comme le montre le champ lexical de la rêverie : « et rêve, attendant, solitaire ».

D’ailleurs, des vers 6 à 8, la phrase se libère des contraintes de la grammaire dans une anacoluthe (rupture syntaxique) comme si le poète nous faisait assister à la poétisation de cette scène banale par une syntaxe inventive et inattendue :
« C’était le vieux qui vit dans une niche au bas / De la montée, et rêve, attendant, solitaire, / Un rayon de ciel triste, un liard de la terre ».

Les antithèses en bas/montée et ciel/terre soulignent que l’espace perd subitement sa cohérence dans un mouvement presque chaotique puisque le bas et le haut s’entrechoquent et le ciel et la terre se confondent :
« C’était le vieux qui vit dans une niche au bas / De la montée, et rêve, attendant, solitaire, / Un rayon de ciel triste, un liard de la terre ».

La périphrase « un liard sur la terre » crée un jeu de mot sur le mot liard. En effet, le liard désigne le croisement d’un lion et d’un léopard, ce qui contribue à l’animalisation du mendiant. Mais le liard désigne aussi une monnaie de faible valeur et met le mendiant dans une situation d’ironie tragique dans la mesure où cet homme pauvre est désigné par un terme qui fait référence à l’argent.

Cette scène prosaïque devient un espace poétique comme le montrent les assonances en « en » qui font entendre une prière : « Tendant les mains pour l’homme et les joignant pour Dieu ».

II – Un poème dramatisé

(vers 10 à 17)

Dans les vers suivants, Victor Hugo, en auteur de théâtre, donne une dimension alerte et vivante à son poème.

Ainsi, les verbes de parole sont nombreux : « je lui criai », « Il me dit », « Il me parlait », « Je lui répondais », « dis-je ».

Ces verbes de parole introduisent souvent des passages au discours direct et donnent même des indications sur le ton employé (« je lui criai »).

Le poème fournit des indications scéniques (comme « je lui pris les mains » au vers 12) qui fonctionnent comme les didascalies d’une pièce de théâtre.

La réplique du mendiant « Je me nomme / Le pauvre » donne une intensité dramatique et énigmatique à cet échange qui sort du registre de la banalité. L’utilisation des guillemets montre le souci de respecter la parole du mendiant, comme si le poème relevait d’un témoignage.

Le mendiant efface lui-même son nom, et le rejet de « Le Pauvre » au vers 12 met en valeur le fait qu’il a tout perdu, jusqu’à son identité. Cette réplique théâtrale transforme le personnage en allégorie de la pauvreté.

L’impératif « Entrez» montre la sollicitude du poète qui prend en charge le destin du mendiant.

La périphrase « brave homme » a une fonction réparatrice car elle remplace la pauvreté matérielle du mendiant par une richesse morale.

Victor Hugo met en scène la différence sociale entre lui-même et le mendiant. Le vers « Et je lui fis donner une jatte de lait » suggère un rang social élevé où le poète délègue les tâches domestiques. Cette aisance met en valeur la générosité du poète.

Le verbe grelotter souligne la situation pathétique du mendiant et prépare le contraste entre le climat froid et pluvieux de l’extérieur et le champ lexical du feu à l’intérieur (« cheminée », «feu », « chaude fournaise »…). Cette opposition froid/chaud met en valeur un clair-obscur qui correspond au goût romantique pour les contrastes.

Au vers 15, Victor Hugo dresse un rapide portrait du poète qui répond au mendiant « pensif et sans l’entendre ». Le poète est celui qui s’extrait de la scène ordinaire comme le montre ces termes relatifs à la méditation. Il est celui qui voit au-delà des apparences.

III – La métamorphose du mendiant

(vers 18 à 26)

Le vers 18 poursuit la description pathétique du mendiant : « son manteau, tout mangé des vers, et jadis bleu ».

La référence au manteau «jadis bleu », qui a donc perdu sa couleur, accentue le processus de vieillissement et de dégradation qui atteint le mendiant.

Le champ lexical de la souffrance renforce le caractère pathétique du personnage : « grelottait », « tout mangé de vers », « piqué de mille trous », « haillon désolé ».

L’expression « tout mangé de vers » met en valeur la proximité de ce corps décharné avec un cadavre.

Mais Victor Hugo joue sur le substantif « vers » qui prend aussi un sens poétique (les vers poétiques) et permet une lecture symbolique et inattendue du poème.

Le manteau du pauvre devient la page d’un texte « mangé des vers » dont les mots (les « trous » au vers 20) font jaillir la lumière (les « constellations » au vers 26). Le mendiant, loin d’être un simple pauvre, devient un pèlerin en quête de sens, comme le poète.

L’expression « piqué de trous » au vers 20 rapproche le mendiant d’un martyr.

Le verbe « semblait » au vers 21 montre bien que cette scène a un sens apparent et un sens caché.

Le champ lexical du feu (« chaude fournaise », « braise », « âtre ») crée une atmosphère intime, quotidienne.

Cette atmosphère intime et familière rend la transformations du mendiant encore plus touchante de vérité.

En effet, le champ lexical de la religion suggère une métamorphose du mendiant en pèlerin ou en être divin : « plein de prières », « bure », « constellations ».

Le masque du pauvre tombe, ce qui transparaît notamment à travers le substantif « bure » qui désigne l’habit d’un homme d’Église ou d’un ordre religieux.

La diérèse sur le terme « const/el/la/ti/ons » suggère que les étoiles prennent toute la place dans ce tableau imaginaire et symbolique.

Victor Hugo fait un hymne à la poésie à travers le personnage du mendiant qui apporte la lumière poétique. La poésie est ce travail de dépassement du monde réel, prosaïque pour accéder au sens symbolique du monde.

Le mendiant, Victor Hugo, conclusion

Dans « Le Mendiant », Victor Hugo compose un poème à plusieurs sens. La contestation de l’ordre social injuste devient contemplation d’un monde poétique et symbolique.

Si Victor Hugo demeure un poète engagé contre les injustices de son temps, il demeure un contemplatif soucieux de dénicher le lyrisme dans le monde de tous les jours et dans les scènes les plus banales.

Cette dimension symbolique se retrouve dans les poèmes de Gérard de Nerval notamment « El Desdichado » où l’étoile joue ce rôle le lien symbolique entre le sens prosaïque et le sens poétique.

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un commentaire

  • Bonjour Amélie et félicitation pour votre analyse.
    Juste deux petites questions.
    Pourquoi Victor Hugo écrit-il dans ce poème :
    1° Piqué de mille trous par la lueur de braise (et non par la lueur des braises) ?
    2° D’où ruisselait la pluie et l’eau des fondrières (et non d’où ruisselaient la pluie et l’eau des fondrières) ?
    Merci pour votre réponse.
    Claude

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