Juste la fin du monde, Lagarce, partie I, scène 10 : lecture linéaire

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Voici une lecture linéaire de la scène 10 (partie I) de la pièce Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce.

L’extrait étudié correspond à la fin de la scène 10, de « Mais lorsqu’un soir, sur le quai de la gare » à « je faisais juste mine de. « 

Introduction, partie I scène 10

Jean-Luc Lagarce est un des dramaturges contemporains les plus joués en France.

Dans Juste la fin du monde (1990), il interroge la crise familiale et personnelle sur fond de crise de la communication.

Louis, le personnage principal, retourne voir sa famille après une longue absence, pour annoncer sa mort prochaine. La pièce met en scène l’échec de cet aveu décisif. (Voir la fiche de lecture pour le bac de Juste la fin du monde de Lagarce)

Après un dialogue cacophonique où tout le monde parle mais où personne ne s’écoute, Louis s’éloigne de sa famille, tant la crise familiale paraît insoluble.

Dans cette scène 10, Louis apparaît seul.

Dans son long monologue, il essaie de maîtriser une mort qui l’angoisse et à laquelle il ne peut pas échapper.

Problématique

Comment le monologue introspectif de Louis s’achève-t-il sur un aveu d’échec, sa mort irrévocable démasquant ses stratégies de fuite ?

Plan linéaire

Dans une première partie, correspondant à la première strophe, la mort ordonne à Louis de cesser de la fuir pour retourner voir sa famille.

Dans une deuxième partie, de « Je traverse » à « ma propre angoisse. », Louis prétend accepter sa mort.

Enfin, dans une troisième et dernière partie, de « Il m’arrivait » à la fin de la scène 10, Louis s’observe comme s’il était déjà un fantôme sur scène.

I – La mort ordonne à Louis de cesser de la fuir pour retourner voir sa famille

De « Mais lorsqu’un soir, sur le quai de la gare » à « Il est temps.« 

La conjonction de coordination « Mais » exprime d’emblée une opposition par rapport à ce qui était dit à la strophe précédente, où Louis racontait qu’il voyageait pour fuir la mort.

Les groupes circonstanciels « lorsqu’un soir, / sur le quai de la gare » inscrivent également Louis dans un espace doublement terminal : il est à la fin du jour, et dans l’attente d’un train.

Louis se moque avec ironie de sa posture romantique de voyageur : « (C’est une image assez convenue) ». Les noms d’hôtel, prestigieux et banals, « Hôtel d’Angleterre, Neûchatel, Suisse » ou « Hôtel du Roi de Sicile« , témoignent de la vanité et de l’inutilité de sa fuite.

Et même dans cette fuite, Louis demeure isolé, comme en témoigne l’antithèse opposant « un restaurant plein de joyeux fêtards où je dînais seul dans l’indifférence et le bruit ». Cette antithèse « joyeux fêtard » / « je dînais seul » montre combien Louis, pourtant vivant, reste enfermé dans sa solitude, comme déjà mort.

C’est dans le cadre de ces vacances solitaires que survient un événement décisif : une rencontre.

Cette rencontre est mystérieuse comme le suggère le pronom impersonnel « on » qui maintient dans le flou l’identité de la personne venue lui «tapoter l’épaule […] avec un gentil sourire triste de gamin égaré».

La rencontre s’opère avec un être aussi malheureux que Louis. Ce personnage mystérieux peut apparaître comme le double de Louis, dont la description ressemble à un autoportrait : « gentil sourire triste », « gamin égaré » .

Ce personnage mystérieux adresse à Louis une question décisive : « A quoi bon ? » La force de la phrase tient à sa brièveté, formée par trois mots monosyllabiques (=d’une seule syllabe).

Ces trois mots sont répétés trois fois, comme pour restituer l’écho de cette question dans l’esprit de Louis.

Le personnage rencontré apparaît alors comme la Mort personnifiée (le nom commun « mort » est transformé en nom propre à l’aide d’une majuscule).

Louis s’animalise ironiquement puisqu’il s’assimile au gibier « rabattu » par la mort qui le chasse.

Ainsi donc, la mort l’ « avait enfin retrouvé sans [l]’avoir cherché ». Le plus-que-parfait et l’adverbe conclusif « enfin » soulignent la limite atteinte par Louis : sa fuite fut interrompue par la mort, sans que celle-ci n’ait à faire le moindre effort.

Louis moque ses « dérisoires et vaines escapades ». Les adjectifs péjoratifs (« dérisoires », « vaines » ) et le terme « escapade » suggèrent la superficialité des tentatives.

L’allégorie (=personnage incarnant une idée) de la mort le « ramena à la maison ». Le prologue indiquait en effet que le retour auprès de la famille était motivé par cette mort à annoncer.

L’énumération de verbes d’action insiste sur les conséquences de cette rencontre décisive, qui pousse Louis à cesser sa fuite : « me ramena à la maison, m’y renvoya, m’encourageant à (…), et m’ordonnant désormais (…) » .

La mort ordonne à Louis de «cesser de jouer». Elle le force donc à ôter son masque de voyageur pour faire face à sa véritable identité d’homme en sursis et en fuite.

Le verbe « jouer » a également une dimension métathéâtrale (= il fait réfléchir sur le théâtre en tant qu’œuvre). Jean-Luc Lagarce joue peut-être ici sur un effet de mise en abyme : il a dû lui-même « cesser de jouer » pour faire face à sa maladie mortelle.

La fuite laisse place à l’affrontement : « Il est temps ». Cette phrase répond au « A quoi bon ? » par son sens et sa brièveté.

Le terme « temps » apparaît lourd de sens : il est temps de la confrontation avec la famille et la vérité ; il est aussi temps d’accepter la mort.

II – Louis prétend accepter sa mort

De « Je traverse à nouveau » à « ma propre angoisse »

Les expressions « à nouveau » et « en sens inverse » insistent sur cette dynamique de retour que mène Louis.

Ce retour spatial symbolise un retour sur soi, sur ces lieux qui ont constitué son quotidien et construit son identité.

Les superlatifs « même le plus laid et le plus idiot » témoignent cependant d’un mépris pour ses origines.

Ce dégoût naît du fait que ce retour est aussi un adieu : « Chaque lieu, […] / je veux noter que je le vois pour la dernière fois ». L’emploi de la première personne et du verbe de volonté « je veux » fait ressurgir la souffrance tragique de l’individu qui lutte face à la mort.

L’acceptation de la mort mène à l‘immobilité comme le suggère le champ lexical du calme (« j’attends », « Je me tiendrai tranquille », « je ne ferai plus d’histoires », « digne », « silencieux » ) renforcé par le présent de l’indicatif : « Je reviens et j’attends. »

Louis semble donc assumer sa défaite, soulignée par l’épanorthose, avec le changement de temps qui marque l’irréversibilité : « Je perds. J’ai perdu. »

Mais cette défaite, loin d’être synonyme de souffrance, se présente comme une sortie de la crise familiale et personnelle, un chemin vers l’apaisement de la mort.

La résolution de Louis transparaît dans l’énumération de verbes d’action : « Je range, je mets de l’ordre, je viens ici rendre visite, je laisse les choses en état, j’essaie de terminer, de tirer des conclusions, d’être paisible. « 

Mais cette attitude n’est qu’une posture. Ce mouvement constant et ces promesses exagérées soulignent que Louis ne cesse pas de jouer, de prétendre.

Personnage lucide, Louis fait preuve d’ironie. Il est conscient du vide de la parole et de ses actions.

III – Louis s’observe comme s’il était déjà mort

De «Il m’arrivait aussi parfois» à la fin de la scène 10

Louis reconnaît que son calme apparent n’est qu’une façade, un jeu interprété devant sa famille. : « je me complais. « 

Il s’observe lui-même avec distance, comme si c’était son fantôme qui se trouvait sur scène.

Il se souvient alors des « derniers temps ». Les guillemets suggèrent que Louis reprend l’expression qui sera utilisée par sa famille, pour l’évoquer lorsqu’il sera disparu.

L’imparfait renforce également la distance, comme si Louis parlait depuis la mort.

Le sourire sur son visage (« Il m’arrivait aussi […] / de me sourire à moi-même comme pour une photographie à venir. » ) rappelle le « sourire triste » de la mort.

Louis semble en train d’accepter sa mort, puisqu’il l’envisage au futur de l’indicatif : « Que feront-ils de moi lorsque je ne serai plus là ? »

L’apparition du déterminant démonstratif « Vos » crée une rupture car le monologue s’adresse désormais à la famille : « Vos doigts se la repassent » . On remarque que Louis ne s’ouvre à sa famille que lorsqu’il est seul sur scène ou s’imagine mort. Le dialogue n’en est jamais vraiment un.

La photographie symbolise la trace qu’il laissera, insignifiante et précieuse à la fois. Cette photographie est assimilée à une relique familiale, sacralisée, sur laquelle il ne faut pas laisser de « coupables empreintes ».

Cette photographie est censée restituer l’apparence de Louis : « « Il était exactement ainsi » ».

Louis commente avec cynisme le pathétique et la platitude de cette remarque attendue : « et c’est tellement faux […] / je faisais juste mine de. » Il affirme ainsi qu’avec sa famille, il a toujours vécu dans le mensonge.

Juste la fin du monde, partie I scène 10, conclusion

Nous avons montré comment le monologue introspectif de Louis s’achève sur un aveu d’échec. Sa mort irrévocable démasque ses stratégies de fuite.

C’est d’abord par le voyage, puis par une feinte sérénité, que Louis fuit la mort.

Sa douloureuse prise de conscience redynamise l’intrigue, puisqu’elle donne à penser qu’il fera enfin à sa famille l’aveu de sa mort prochaine.

Cette attente, suscitée dès le prologue, maintient les spectateurs dans le suspens, pour finalement décevoir leurs attentes.

Mais avec la tirade finale d’Antoine, chaque membre de la famille aura pu au moins avouer à Louis son amour, certes maladroitement.

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Amélie Vioux

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un commentaire

  • Bonsoir Amélie, j’ai vu que vous aviez fait de nombreuses analyses sur Juste la fin du monde de Lagarce, en partie de la première partie. Je vous demandais s’il était question de faire quelques analyses sur les scènes de l’intermède que l’on trouve pas d’utilité dans la pièce de théâtre et qui donc déstabilise beaucoup d’élèves. Par exemple faire une analyse de les scènes 1 à 3 réunies.
    Je vous remercie de votre compréhension
    Elsa

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