Réponse à un acte d’accusation, Victor Hugo : analyse linéaire

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hugo réponse à un acte d'accusationVoici une explication linéaire du poème « Réponse à un acte d’accusation»  issu des Contemplations (livre I) de Victor Hugo.

L’extrait analysé ici va des vers 42 à 81.

(N’oublie pas d’aller voir mon résumé et analyse des Contemplations pour mieux situer ce texte).

Réponse à un acte d’accusation, Victor Hugo, introduction

Victor Hugo écrit »Réponse à un acte d’accusation » en janvier 1834.

Nous sommes 4 ans après la bataille d’Hernani, une polémique qui oppose les partisans du romantisme (rassemblés autour de Victor Hugo) aux « classiques« qui souhaitent voir respecter les règles du classicisme au théâtre.

Victor Hugo est donc depuis plusieurs années aux avant-postes pour réclamer un renouvellement de la langue, empoussiérée selon lui dans un classicisme stérilisant. Il souhaite une révolution linguistique et littéraire.

Il profite d’une critique d’hommes de lettres, pour répondre à ses détracteurs par ce poème « Réponse à un acte d’accusation ».

Projet de lecture

En quoi ce poème est-il l’application à la littérature des principes révolutionnaires ?

Réponse à un acte d’accusation (v.42 à 81)

Les mots, bien ou mal nés, vivaient parqués en castes ;
Les uns, nobles, hantant les Phèdres, les Jocastes,
Les Méropes, ayant le décorum pour loi,
Et montant à Versaille aux carrosses du roi ;
Les autres, tas de gueux, drôles patibulaires,
Habitant les patois ; quelques-uns aux galères
Dans l’argot ; dévoués à tous les genres bas,
Déchirés en haillons dans les halles ; sans bas,
Sans perruque ; créés pour la prose et la farce ;
Populace du style au fond de l’ombre éparse ;
Vilains, rustres, croquants, que Vaugelas leur chef
Dans le bagne Lexique avait marqué d’une F ;
N’exprimant que la vie abjecte et familière,
Vils, dégradés, flétris, bourgeois, bons pour Molière.
Racine regardait ces marauds de travers ;
Si Corneille en trouvait un blotti dans son vers,
Il le gardait, trop grand pour dire : Qu’il s’en aille ;
Et Voltaire criait : Corneille s’encanaille !
Le bonhomme Corneille, humble, se tenait coi.
Alors, brigand, je vins ; je m’écriai : Pourquoi
Ceux-ci toujours devant, ceux-là toujours derrière ?
Et sur l’Académie, aïeule et douairière,
Cachant sous ses jupons les tropes effarés,
Et sur les bataillons d’alexandrins carrés,
Je fis souffler un vent révolutionnaire.
Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire.
Plus de mot sénateur ! plus de mot roturier !
Je fis une tempête au fond de l’encrier,
Et je mêlai, parmi les ombres débordées,
Au peuple noir des mots l’essaim blanc des idées ;
Et je dis : Pas de mot où l’idée au vol pur
Ne puisse se poser, tout humide d’azur !
Discours affreux ! — Syllepse, hypallage, litote,
Frémirent ; je montai sur la borne Aristote,
Et déclarai les mots égaux, libres, majeurs.
Tous les envahisseurs et tous les ravageurs,
Tous ces tigres, les huns, les scythes et les daces,
N’étaient que des toutous auprès de mes audaces ;
Je bondis hors du cercle et brisai le compas.
Je nommai le cochon par son nom ; pourquoi pas ?

Annonce de plan linéaire

Nous pouvons observer deux mouvements dans ce poème. Dans un premier temps, des vers 42 à 55, Victor Hugo parodie l’art poétique de Boileau (I). Dans un second temps, il met en scène un 1789 littéraire (II).

I – Une parodie d’art poétique

A – La dénonciation d’une littérature aristocratique

Dans les premiers vers de cet extrait, Victor Hugo dénonce une littérature aristocratique à travers le champ lexical de la sociologie : « castes » , « nobles » , « carrosses » , « gueux » , « Populace » , « Vilains » , « rustres » , « croquants » .

Ces termes créent un parallélisme entre la société et la langue : comme dans la société, il existe des mots nobles et des mots roturiers.

Le parallélisme de construction « Les uns …/ Les autres… » (v.43 et 46)  montre cette scission sociale et linguistique.

La scission sociale exprimée par le champ lexical de la noblesse (« nobles », « Versailles », « carrosses », «roi ») et le champ lexical de la roture (« gueux », « patibulaire », « galère », « haillons », « sans bas », « Sans perruque » , « genres bas ») se retrouve également dans une scission littéraire.

B – Une critique du classicisme

Le monde littéraire est en effet divisé en deux catégories ou genres bien distincts : le genre noble et le genre bas.

Le genre noble est marqué par des figures tragiques de Racine, de Sophocle ou de Voltaire (« Phèdres », « Jocastes », « Méropes»).

Victor Hugo se plaît à  tourner en dérision ce genre noble par le registre satirique. Ainsi, le verbe « hanter » (« hantant les Phèdres ») fait du style classique un fantôme archaïque.

Le pluriel venant affecter les héroïnes tragiques est péjoratif : « les Phèdres, les Jocastes, les Méropes« . Créées pour être des figures uniques, le pluriel les banalise et leur fait perdre le caractère exceptionnel qui fait traditionnellement leur héroïsme.

Ces mots classiques sont un musée, comme le montre le terme à consonance latine « décorum » ironiquement utilisé par Victor Hugo pour mettre en évidence l’archaïsme de la langue classique.

C – Une parodie de l’Art poétique de Boileau

Au genre noble s’oppose les genres bas.

Le champ lexical de la pauvreté crée une Cour des Miracles des mots qui montre une mépris de la société littéraire pour les mots vulgaires: « gueux », « patibulaires », «haillons », « halles », « vilains », « rustres », « croquants »

Ce champ lexical de la pauvreté est associé à des genres littéraires bas comme le montre le champ lexical de la littérature : « prose », « farce », « argot », « style » , « Vaugelas », « Lexique ».

Victor Hugo ne partage pas cette typologie littéraire. Il dénonce un embastillement des mots (= comme si les mots étaient emprisonnés à la Bastille) en assimilant le langage académique à une prison à travers le terme « bagne » : « le bagne Lexique ».

Vaugelas, grammairien fameux de l’époque classique, devient comiquement un gardien de prison au vers 52.

Le F (de familier) qui est l’abréviation du dictionnaire est comparé ironiquement à une marque d’infamie.

Par ce champ lexical de la littérature, Victor Hugo parodie l’Art poétique de Boileau, célèbre poème du XVIIème siècle qui édicte des règles de l’écriture classique.

Le terme « populace du style » rappelle en effet la « populace » du chant III de l’Art poétique (« Mais son emploi n’est pas d’aller, dans la place / De mots sales et bas charmer la populace »).

Victor Hugo inverse ainsi les valeurs classiques de Boileau en écrivant un anti-art poétique.

 II – La mise en scène d’une Révolution littéraire

Du vers 55 « vils, dégradés, flétris, bourgeois… » au vers 81 « Je nommai le cochon par son nom, pourquoi pas ?« 

A – Victor Hugo fait apparaître les écrivains « classiques »

Victor Hugo fait revivre la galerie des écrivains illustres (« Molière », « Racine », « Corneille », « Voltaire ») en mettant en valeur leur classification selon les canons de l’Art poétique de Boileau.

C’est une véritable mise en scène comique des auteurs classiques comme le montrent les adjectifs décalés « bonhomme Corneille » et les verbes d’action : « Racine regardait« , « Voltaire criait« .

B – L’arrivée du romantisme

Après avoir fait revivre les écrivains illustres, Victor Hugo met en scène l‘avènement du romantisme par l’irruption du « je » au vers 61 : « Alors brigand, je vins« .

L’apposition « brigand » donne l’impression que l’écrivain romantique entre par effraction sur la scène littéraire comme l’a fait Victor Hugo lui-même quatre ans avant dans la bataille d’Hernani.

L’anacoluthe « Alors, brigand, je vins ; je m’écriais : Pourquoi » et les ruptures rythmiques (2/2/2//4/2) montrent l’onde de choc créée par le romantisme littéraire.

Les pronoms démonstratifs « Ceux-ci » et « ceux-là » au vers 62 suggèrent une hiérarchie maintenue par l’Académie française que le romantisme vient perturber.

L’Académie devient une allégorie de la vieillesse comme le montre le champ lexical de la vieillesse : « aïeule », « douairière », « jupons », « vieux ».

C – Un 1789 des Lettres

Victor Hugo fait alors un parallélisme entre la bataille romantique et la Révolution française de 1789.

Pour Victor Hugo, la bataille romantique est en effet la traduction littéraire de la Révolution.

Le champ lexical de la Révolution et la première personne du singulier transforme Victor Hugo en grand orateur de 1789 : « Je fis souffler un vent révolutionnaire« , « Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire« .

A travers le mode exclamatif et des phrases nominales « Plus de mot sénateur ! plus de mot roturier ! », Victor Hugo replace le lecteur en pleine révolution.

Au vers 69, « je fis une tempête au fond de l’encrier« , Victor Hugo fait de l’ « encrier » la métaphore du monde, un monde vieilli, marqué par l’immobilisme et qu’il veut mettre en mouvement.

L’antithèse « blanc/noir » au vers 71 fait du romantique (blanc) une esthétique du choc, à l’opposé  de la mesure classique (noir) :  « Au peuple noir ces mots l’essaim blanc des idées ». Le romantisme est une esthétique qui crée la surprise et le contraste.

Le terme « idées » souligne que le romantisme est une littérature militante, une bataille des idées.

Les figures de style (« Syllepse, hypallage, litote » v.74) qui créent une aristocratie du langage sont rejetés. Le verbe « Frémirent » en position de rejet au vers 75 suggère une crainte de l’ancien monde.

Victor Hugo continue à se mettre en scène en révolutionnaire au vers 76 : « Et déclarai les mots égaux, libres, majeurs ».

L’énumération « Tous ces tigres, les huns, les scythes et les daces » souligne que Victor Hugo se montre plus audacieux que ces peuples réputés barbares, tournés en dérision par le terme « toutous« .

Victor Hugo met ainsi en valeur sa propre bravoure.

Le « cercle » (v.80) hors duquel bondit V. Hugo symbolise l’interdit de nommer les choses par leur nom.

Victor Hugo critique le langage académique qui ne sait pas nommer le réel : « Je nommais le cochon par son nom ».

Réponse à un acte d’accusation, V. Hugo, conclusion

Victor Hugo affirme dans « Réponse à une acte d’accusation » l’esthétique romantique qui souhaite la libération du langage.

Il voit le romantisme comme une application à la littérature des préceptes de la Révolution française de 1789.

La Révolution de 1789 s’est en effet réalisée en politique mais pas en esthétique et Victor Hugo met en scène un geste révolutionnaire pour libérer le langage.

L’esthétique romantique est également défendue dans le poème « quelques mots à un autre » dans le livre I des Contemplations.

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Amélie Vioux

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7 commentaires

  • Bonsoir madame, je suis beaucoup satisfait avec ce que vous donnez, en temps que connaissances a nous, les étudiants. Je vous écris a 0:08 du matin, car je viens de finir mon explication linéaire avec votre aide, j ai ajouté beaucoup de précisions et de commentaires a mon travail. Je vous remercie qu’il existe encore des humains sur cette planete, qui ne courent pas seulement apres le capital, et l argent, mais qui non seulement pensent aux autres, mais les aides en paralelle.
    Merci pour votre aide.
    Un étudiant en Hongrie.

  • Bonjour Madame,
    Vous êtes d’un grand soutien! Le poème « quelques mots à un autre » de Victor Hugo est la suite de « réponse à un acte d’accusation « ? Heureusement que j’ai trouvé votre analyse car je trouve ce poème d’une grande complexité.
    Merci de votre réponse.
    Eliott

  • Bonsoir Madame, vous m’êtes vraiment d’une grande aide pour mon projet d’études. Vos articles sur Les Contemplations de Victor Hugo m’ont permis de mieux comprendre ce recueil poétique. Merci.

    • Merci Eliott ! Eh oui, je publie de nouvelles analyses chaque semaine, il ne faut pas hésiter à venir souvent pour se tenir au courant de mes dernières publications 😉

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