Le crépuscule du matin, Baudelaire : lecture linéaire

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Voici un commentaire linéaire pour l’oral sur « Le crépuscule du matin » de Charles Baudelaire.

Le crépuscule du matin, Baudelaire, introduction

Baudelaire fut le témoin privilégié de l’urbanisation industrielle de Paris.

Le poète souligne les beautés inédites de la capitale, mais surtout son horreur et sa misère.

Les Fleurs du Mal, recueil publié en 1857, montrent l’homme comme un être mélancolique, en proie au spleen que la misère urbaine aggrave. (Voir la fiche de lecture des Fleurs du Mal)

La deuxième section du recueil, « Tableaux parisiens », fait de Paris une capitale infernale et impitoyable. C’est aussi une section où Baudelaire s’intéresse aux plus pauvres, aux plus déshérités.

Le poème « Le crépuscule du matin » clôt cette section, et fut d’abord publié en diptyque avec « Crépuscule du soir ».

Ce poème est composé de vingt-huit alexandrins en rimes plates, et disposés en strophes inégales.

Il dépeint l’atmosphère du Paris des miséreux au lever du soleil.

Problématique

Comment ce poème, en évoquant Paris au matin, dépeint-il la misère pathétique de ses habitants les plus pauvres ?

Texte étudié

C’était l’heure où l’essaim des rêves malfaisants
Tord sur leurs oreillers les bruns adolescents ;
Où, comme un œil sanglant qui palpite et qui bouge,
La lampe sur le jour fait une tache rouge ;
Où l’âme, sous le poids du corps revêche et lourd,
Imite les combats de la lampe et du jour.
Comme un visage en pleurs que les brises essuient,
L’air est plein du frisson des choses qui s’enfuient,
Et l’homme est las d’écrire et la femme d’aimer.

Les maisons çà et là commençaient à fumer.
Les femmes de plaisir, la paupière livide,
Bouche ouverte, dormaient de leur sommeil stupide ;
Les pauvresses, traînant leurs seins maigres et froids,
Soufflaient sur leurs tisons et soufflaient sur leurs doigts.
C’était l’heure où parmi le froid et la lésine
S’aggravent les douleurs des femmes en gésine ;
Comme un sanglot coupé par un sang écumeux
Le chant du coq au loin déchirait l’air brumeux ;
Une mer de brouillards baignait les édifices,
Et les agonisants dans le fond des hospices
Poussaient leur dernier râle en hoquets inégaux.
Les débauchés rentraient, brisés par leurs travaux.

L’aurore grelottante en robe rose et verte
S’avançait lentement sur la Seine déserte,
Et le sombre Paris, en se frottant les yeux,
Empoignait ses outils, vieillard laborieux.

Les Fleurs du Mal, Baudelaire

Plan linéaire

Dans les deux premières strophes, un crépuscule morbide éveille Paris.

Puis, dans une deuxième partie correspondant à la troisième strophe, le poème peint le tableau pathétique des miséreux de la ville.

Enfin, dans une troisième partie, à la quatrième strophe, le poème évoque l’aurore et Paris sous les traits inquiétants d’une jeune fille et d’un vieillard.

I – Un morbide crépuscule éveille Paris

(vers 1 à 11)

Le titre du poème « Crépuscule du matin » est d’emblée marqué par le spleen car le terme crépuscule renvoie à l’idée de déclin.

Le poème s’ouvre sur le chant de « La diane », tambour ou sonnerie destinée à réveiller les soldats à l’aube.

La reprise du nom de la déesse de la chasse, Diane, pour désigner le tambour, inscrit le poème dans un monde profane et militarisé, où la révolte sera matée.

C’est un monde vide encore : « les cours des casernes » sont vides, seul « le vent du matin soufflait ».

Mais le vent qui souffle annonce déjà l’éveil des habitants.

La deuxième strophe s’ouvre sur un imparfait : « C’était l’heure » (v.3) qui amorce la description d’un tableau parisien. Le poète se fait chroniqueur de son temps.

Il évoque « l’essaim des rêves malfaisants » (v.3-4). Les rêves sont donc animalisés de façon diabolique (l’essaim est un groupe d’abeilles ou d’insectes).

Cet essaim « Tord sur leurs oreillers les bruns adolescents » . Le verbe de mouvement « tord » anime ce tableau parisien de convulsions violentes et montre à quel point la misère interdit le repos du sommeil.

Le vers 5 reprend l’anaphore en « Où » et établit une comparaison inquiétante entre la lampe et un « œil sanglant qui palpite et qui bouge ». Les consonnes occlusives [k], [p] et [b] donnent l’impression d’entendre les palpitations évoquées, renforçant l’atmosphère morbide du poème.

Le champ lexical du tissu humain crée une atmosphère lugubre et fantastique : « œil sanglant« , « palpite« , « bouge« , « tache rouge » .

Par hypallage, cet œil rouge désigne celui des miséreux et des ivrognes qui s’éveillent, les yeux injectés de sang.

C’est bien le Paris de la misère et de la débauche que dépeint le poète.

Le vers 7 reprend l’anaphore en « où »: «Où l’âme, sous le poids du corps revêche et lourd, / Imite les combats de la lampe et du jour».

Ces anaphores amplifient la phrase, donnant l’impression que ce tableau parisien s’anime sous nos yeux.

Au vers 7, Baudelaire oppose le corps « revêche et lourd » à « l’âme » à travers l’antithèse âme/corps. Les adjectifs dépréciatifs associés au corps soulignent que le corps pesant empêche l’élévation vers l’idéal.

« Les combats de la lampe et du jour » font songer à l’allégorie de la caverne de Platon où les hommes n’aperçoivent que leur ombre projetée sur un mur. Baudelaire souligne ainsi la tension entre la fausseté d’ici-bas (spleen), et la vérité de l’idéal.

Ces êtres misérables sont en proie à la misère et au spleen, l’âme enfermée dans un corps pesant qui rend l’Idéal inaccessible.

Le spleen contamine les éléments.

Ainsi, l’air est comparé à « un visage en pleurs que les brises essuient » . On peut parler ici d’anthropomorphisation ou personnification de la nature (la nature est représentée sous les traits d’un humain).

La nature devient donc le reflet de l’âme mélancolique, comme en témoigne le champ lexical de la tristesse : « pleurs » , « essuient » , « frisson » , « s’enfuient » , « las » .

Cette tristesse et cette lassitude empêche la création et l’amour, comme l’exprime le vers 11 avec un présent de vérité générale : « Et l’homme est las d’écrire et la femme d’aimer. »

La misère urbaine stérilise l’esprit et le coeur.

II – Le tableau pathétique des miséreux

(vers 12 à 24)

La mention des « maisons » au vers 12 donne de l’ampleur à la description qui surplombe désormais la ville.

L‘imparfait prolonge la description tableau parisien : « Les maisons çà et là commençaient à fumer. » La fumée signale les premières activités du jour, le lever des habitants.

Puis Baudelaire s’attache à décrire les travailleurs nocturnes, et notamment « les femmes de plaisir« , c’est à dire les prostituées.

La description des prostituées se focalise sur leurs visages figés et défigurés, comme le soulignent les adjectifs dépréciatifs : « livide », « stupide » : « Les femmes de plaisir, la paupière livide, / Bouche ouverte, dormaient de leur sommeil stupide » (v.13-14).

Elles sont assimilées à des cadavres en raison de leur pâleur (« livide » ) et de leur immobilité figée (« bouche ouverte » ).

Comme souvent chez Baudelaire, les femmes sont des figures ambivalentes, à la fois sensuelles et morbides.

Baudelaire poursuit sa description du monde féminin par l’évocation des « pauvresses, traînant leurs seins maigres et froids » et luttant contre le froid (v.15-16).

Le vocabulaire pathétique et l’allitération traînante en « r » restituent la rigueur de leur existence misérable : « pauvresses, traînant leurs seins maigres et froids »

La répétition du verbe souffler au vers 16, accentuée par l’allitération des fricatives « s » et « f »reproduit l‘effort réitéré pour se réchauffer : « soufflaient sur leurs tisons et soufflaient sur leurs doigts » .

Le vers 17 reprend l’anaphore « C’était l’heure » (du vers 3), ce qui confère au poème le ton du roman ou de la chronique journalistique.

Les effets de la misère (« le froid et la lésine ») « aggravent les douleurs des femmes en gésine », c’est à dire des femmes sur le point d’accoucher.

Encore une fois, la (pro)création est entravée voire empêchée dans cet univers hostile à la vie.

La ville est donc un espace paradoxal : elle concentre les vies humaines, tout en empêchant la vie humaine, qu’elle rend infernale.

Le vers 20 évoque le « chant du coq ». Traditionnellement, le chant du coq est un motif poétique positif qui rappelle la fraicheur matinale. Mais chez Baudelaire, ce chant est négatif car comparé à « un sanglot coupé par un sang écumeux » (v.19-20).

La paronomase* sang/sanglot (*rapprochement de mots aux sonorités similaires) fait entendre cet étouffement par la répétition du phonème nasal « s » .

Le jour qui naît est donc un jour qui tue, tant la misère accable le peuple.

L’atmosphère de la ville est inquiétante et fantastique comme le suggèrent les groupes nominaux « l’air brumeux » et la « mer de brouillards » (v.20-21) qui dépeint une ligne d’horizon brouillée.

Le brouillard désigne sans doute la fumée des usines dans une ville industrialisée qui empêche de voir le ciel et enferme l’individu dans la laideur urbaine.

Baudelaire entre encore davantage dans les tréfonds de la ville en évoquant « les agonisants dans le fond des hospices » (v.22).

Le participe présent substantivé « agonisant«  rend compte du lent combat entre la vie et la mort que mènent ces déshérités.

Mais la mort triomphe comme le suggère péniblement le hiatus* en/o (* un hiatus correspond à la rencontre de deux voyelles) et la succession rapide de voyelles qui restituent ces décès disgracieux : « en hoquets inégaux » (v.23).

Ces êtres abandonnés meurent aussi misérablement qu’ils vécurent.

Mais tous ces miséreux ne meurent pas Les débauchés rentraient, brisés par leurs travaux.» (v.24)

Loin d’élever les hommes, le travail les brise. La césure à l’hémistiche rompt compte ici de cette fatigue qui les plie en deux.

Ce vers dénonce la dureté du travail ouvrier. Mais ces travaux désignent peut-être aussi ironiquement les nuits passées à s’enivrer pour oublier la misère.

III – L’aurore et Paris en inquiétantes allégories de la jeune fille et du vieillard

(Dernière strophe)

La brève strophe finale évoque « L’aurore grelottante en robe rose et verte » (v.25).

Baudelaire reprend la métaphore poétique de l’Aurore dépeinte sous les traits d’une jeune femme.

Mais chez Baudelaire, cette allégorie féminine est inquiétante en raison de l’allitération en « r » qui restitue les grelotements et des couleurs qui ont perdu leur éclat : « L’aurore grelottante en robe rose et verte »

L’Aurore s’avance sur un Paris vide, ce qui prolonge l’étrangeté de cette description : « Seine déserte« , « le sombre Paris » .

L’allégorie du « vieillard laborieux » (v.28) permet de représenter Paris sous les traits d’un vieil ouvrier.

Son âge en fait une incarnation de la mort, mais une mort décidée à faucher des vies avec ses outils comme le suggère le verbe « empoigner« .

L’aurore, représentée sous l’aspect d’une mystérieuse jeune fille, et Paris, représentée sous les traits d’un vieillard, forment un couple étrange et inquiétant. Ils règnent sur ce monde miséreux que leurs pouvoirs accablent.

Le crépuscule du matin, conclusion

Nous avons vu que ce poème qui évoque Paris au crépuscule du matin dépeint la misère de ses habitants les plus pauvres.

La ville exerce sa violence sur les êtres les plus fragiles. Le poète restitue la misère de ces déshérités, mais sans s’apitoyer pour autant, ce qui rend ce poème ambigu.

Baudelaire renoue avec une des fonctions antiques de la poésie : faire la chronique du temps. Il souligne ainsi la misère sévissant dans la grande capitale. Mais, fidèle au titre programmatique du recueil, Les Fleurs du Mal, Baudelaire génère la beauté du poème à partir de la laideur.

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