Le chat, la belette et le petit lapin, Fables, La Fontaine : analyse

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le chat la belette et le petit lapinVoici une lecture analytique de la fable « Le chat, la belette et le petit lapin » de Jean de La Fontaine.

Lire le chat, la belette et le petit lapin (le texte)

Le chat, la belette et le petit lapin : introduction

Avec ses fables, La Fontaine avait pour objectif déclaré d’instruire et plaire (« placere et docere ») son lectorat. (Voir la fiche de lecture sur les Fables de La Fontaine)

Il utilise pour cela dans la plupart de ses textes des animaux anthropomorphes, qui lui servent à illustrer les travers humains et à dénoncer certains comportements.

Dans cette fable « le chat, la belette et le petit lapin », la seizième du livre 7, paru en 1678, ce sont un lapin et une belette qui s’affrontent, avant d’avoir recours à un chat.

Nous verrons que sous son aspect plaisant, « Le chat, la belette et le petit lapin » pose de véritables questions politiques.

Questions possibles à l’oral :

♦ En quoi cette fable propose-t-elle une réflexion sur le pouvoir ?
Comment La Fontaine s’y prend-il pour faire passer son message ?
♦ Comment est traitée l’idée de justice dans cette fable ?
♦ En quoi cette fable est-elle un apologue ?
♦ Quelles sont les différentes critiques présentes dans « le chat, la belette et le petit lapin » ?

Annonce du plan

Nous étudierons tout d’abord ce qui fait l’aspect ludique de cette fable (I), avant d’aborder les vrais enjeux que soulève La Fontaine (II). Pour terminer, nous décrypterons la satire politique et sociale sous-jacente (III).

I – Un conte ludique…

A – Diversité du schéma de rimes et de mètres

Le rythme de la fable est irrégulier, ce qui donne au récit une impression de vivacité.

La Fontaine alterne les alexandrins et les octosyllabes ; la fable est donc hétérométrique (les vers n’ont pas tous les mêmes nombre de syllabes).

L’action démarre ainsi avec une série de trois octosyllabes, mètre plus rapide que l’alexandrin.

La Fontaine utilise des alexandrins pour le passage narratif qui suit, jusqu’à la prise de parole du lapin en octosyllabes, qui révèlent sa surprise et sa colère : « O là, Madame la Belette, / Que l’on déloge sans trompette ».

Le schéma des rimes est lui aussi irrégulier, puisque l’on trouve à la fois des rimes suivies (les deux premiers vers, par exemple : lapin / matin), des rimes croisées (terre / occupant / guerre / rampant) et des rimes embrassées (aisée / jour / cour / rosée).

Cette variété contribue également à l’aspect ludique de la fable.

B – Les jeux de langage

Ce texte contient de nombreux jeux de mots, notamment dans les différentes dénominations des personnages qui créent un effet comique par le contraste entre la noblesse des désignations et leur identité réelle.

Ainsi, la belette est appelée « Dame Belette », « Madame la Belette », « la Dame au nez pointu » alors qu’elle n’est qu’une voleuse, et le lapin est dénommé tour à tour « maître et seigneur », « Jean Lapin » mais aussi « Janot Lapin », « Janot » étant le diminutif affectueux de Jean.

Un effet burlesque est également créé lorsque la demeure du lapin, simple terrier, devient un « palais » dans le vers un.

La grandiloquence de Jean Lapin (« O Dieux hospitaliers, que vois-je ici paraître ? ») prête également à rire, par le décalage entre l’image du petit lapin broutant dans les fourrés et son élocution extrêmement soignée.

Le chat est lui aussi sujet de nombreux jeux de mots ; il est ainsi désigné par l’expression « sa majesté fourrée », ce qui renvoie à l’expression « chat fourré », nom que l’on donnait ironiquement aux magistrats sous l’Ancien Régime.

C – La rapidité de l’action

Dès les premiers vers, le lecteur est plongé dans l’action, puisque l’élément perturbateur (l’installation de la belette dans le terrier du lapin) intervient dans la première phrase. Le verbe « s’empara », au passé simple, indique une action rapide.

Les verbes de mouvement sont d’ailleurs très présents dans la fable : « porta », « était allé », « trotté », « fait tous ses tours », « retourne », « déloge », etc.

Ainsi, la première partie de la fable est une succession de mouvements rapides, qui participe à la vivacité du récit.

Les effets de rythmes sont encore renforcés par les rejets et les enjambements : « s’empara », au tout début du vers 3, est ainsi mis en valeur, de même que la réponse de la belette au lapin, qui s’étale sur deux vers, formant un enjambement : « La Dame au nez pointu répondit que la terre / Etait au premier occupant. »

Transition : Grâce à ses procédés de narration, la Fontaine fait de cette fable un récit plaisant au rythme enlevé et aux allures de conte, qui traduit en quelques vers la confrontation sérieuse qui oppose la belette et le lapin.

II – … aux enjeux sérieux

A – La question de la propriété

Dans « Le chat, la belette et le petit lapin », l’objet du litige peut se résumer ainsi : le lapin quitte son logis (« Le Maître étant absent »), la belette en profite pour prendre sa place ; elle ne reconnaît pas le droit de propriété du lapin.

On assiste donc à une confrontation entre deux points de vue opposés :

♦ La Belette défend la loi du « premier occupant », le droit de celui qui arrive le premier;

♦ Le lapin lui oppose « la coutume et l’usage » qui ont assis l’héritage comme mode de transmission de la propriété (et donc du pouvoir). Si le lapin est propriétaire, c’est parce que le terrier s’est transmis « de père en fils », « de Pierre à Simon, puis à moi Jean ».

B – Un conflit argumenté

La Fontaine utilise pour le débat des deux adversaires différents types de discours :

Direct (prises de parole avec verbes d’introduction : « Dit le lapin chassé du paternel logis »);

Indirect (« La Dame au nez pointu répondit que… »);

Indirect libre (« C’était un beau sujet de guerre / Qu’un logis où lui-même il n’entrait qu’en rampant » : ce sont les paroles de la belette qui sont rapportées).

Chacun d’eux manie bien l’art du discours et expose clairement son point de vue.

Le lapin s’exprime avec grandiloquence et noblesse, comme le veut son titre de « Maître » : il fait appel aux Dieux (« O Dieux inhospitaliers »), explique la ligne de succession, remet en cause l’argument de la Belette (« Le premier occupant est-ce une loi plus sage ? »).

La belette utilise de nombreux parallélismes qui structurent son discours : « A Jean fils ou neveu de Pierre ou de Guillaume / Plutôt qu’à Paul, plutôt qu’à moi ». On observe ici trois rythmes binaires qui se succèdent (fils/neveu, Pierre/Guillaume, Paul/moi). Elle se sent légitime dans sa demande, comme le montre la rime entre « loi » et « moi ».

Par ces seules prises de parole, il est difficile pour le lecteur de décider qui a raison : les deux discours étant également bien argumentés, les deux positions semblent se valoir.

D’ailleurs, le chat appelé en juge, censé trancher le débat, n’apportera pas de solution dans un sens ou dans l’autre.

C – Des personnages allégoriques

Les différents animaux héros de la fable ont des particularités bien définies.

♦ La belette « est une rusée », elle se montre audacieuse et fait face au lapin, pourtant mieux né qu’elle.

♦ Le lapin, lui, est « jeune » et se montre naïf : il ne remet pas en cause l’ordre établi et se contente de suivre la coutume sans se poser de question.

♦ Le chat, troisième personnage de la fable qui n’intervient qu’à la fin, a pourtant une place privilégiée dans le titre : c’est un personnage important dans le récit, puisque c’est lui qui aura le dernier mot.

Il est pourtant fourbe et hypocrite, comme le montre la longue description qu’en fait La Fontaine sur plusieurs vers en octosyllabes, qui annoncent un tournant dans le récit.

La description comporte de nombreuses antithèses : perçu comme un « dévot ermite », le chat est pourtant « gros et gras » ; « bon apôtre », il croque les deux opposants qui font appel à son aide.

De même, « chattemite », jeu de mot avec « chat », désigne une personne hypocrite derrière ses airs doucereux. Il leur fait croire qu’il est vieux et sourd (« je suis sourd, les ans en sont la cause ») et s’adresse affectueusement à eux (« mes enfants ») pour mieux leur sauter dessus.

C’est un portrait très négatif qui est montré de ce personnage, pourtant représentant de la loi (« juge », « arbitre expert ») et du clergé (« dévot ermite », « bon apôtre ») dans la fable.

Transition : Cette opposition entre la belette et le lapin, finalement tranchée par le chat, n’est donc pas aussi anodine qu’elle pourrait le paraître au premier abord : La Fontaine pose de réels éléments de réflexion sur les problématiques de son temps.

III – Une satire politique et sociale

A – Des courtisans tournés en ridicule

Les courtisans sont raillés dans cette fable, comme nous l’indiquent plusieurs éléments.

Jean Lapin en fait clairement parti : lorsqu’il se fait voler son « palais », c’est parce qu’il est parti « faire à l’Aurore sa cour ». Louis XIV étant surnommé le Roi Soleil, il est aisé de faire le rapprochement avec « l’Aurore », et le mot « cour » est explicite.

Avec l’image du courtisan en tête, le vers « Après qu’il eut brouté, trotté, fait tous ses tours » ne manque pas de charme, si l’on applique aux manœuvres et intrigues des membres de la Cour pour s’attirer les faveurs du roi.

Tout comme Jean Lapin, ces personnes nobles ne remettent pas en question leurs privilèges (notamment la propriété, qui leur est transmise) et se conforment à l’usage.

Enfin, la morale de la fable est elle-même très explicite : La Fontaine se moque des conflits entre « petits seigneurs » qui, incapables de se mettre d’accord, font appel au roi pour régler leurs problèmes.

B – L’absence de justice ?

Il y a certes une justice dans la fable, mais elle est dépeinte de manière extrêmement négative.

Tout d’abord, la personne du juge, le chat, est négative : faux dévot, hypocrite et rusé, il profite de la naïveté de la belette et du chat pour se remplir la panse et servir ses propres intérêts.

Ensuite, la belette pose la vraie question de la légitimité de l’héritage : il n’y a rien à faire pour hériter, il suffit d’être bien né. « Quelle loi » civile, interroge la belette, justifie cette injustice ? C’est un argument presque révolutionnaire que met La Fontaine dans la bouche de la belette.

Malgré la qualité des discours des deux opposants, aucun des deux ne l’emporte ; c’est la violence dont fait preuve le représentant de l’autorité qui aura le dernier mot.

 C – Une critique indirecte du pouvoir royal

Par la morale, le roi est explicitement assimilé au chat (lui-même désigné comme « sa majesté »).

Il a le pouvoir et l’autorité de trancher les conflits, c’est à lui que s’adressent les sujets lorsqu’ils ont besoin d’un juge suprême.

Mais à la lecture de la fable, on peut se demander : quelle sorte de justice applique-t-il ? Dans le texte, le chat abuse de son pouvoir pour croquer les deux adversaires…

Par ailleurs, la question de la légitimité de la propriété transmise par héritage que pose la belette peut s’appliquer au royaume, comme elle le demande elle-même (« Et quand ce serait un Royaume ») : qu’est-ce qui rend le roi plus légitime qu’un autre pour régner ?

Le chat, la belette et le petit lapin : conclusion

Sous son aspect vif et ludique, « Le chat, la belette et le petit lapin » pose donc de vraies questions, auquel La Fontaine prend soin de ne pas répondre directement.

S’il écrit ses fables sous la forme de contes dont les personnages sont des animaux, c’est aussi pour échapper à la censure : en effet, ses idées audacieuses peuvent paraître subversives, et sont même contraires à la coutume de son temps.

Ici se pose la problématique de la légitimité du pouvoir (représenté par le chat, qui a le dessus sur les autres personnages), qui trouve sa source dans la violence. Ce thème rappelle « Le loup et l’agneau », où La Fontaine dénonçait là aussi l’hypocrisie de la justice.

Pour aller plus loin sur le parcours « Imagination et pensée au XVIIème siècle » :

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Amélie Vioux

Professeure et autrice chez hachette, je suis spécialisée dans la préparation du bac de français (2nde et 1re).

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12 commentaires

  • Bonjour.
    Merci pour votre analyse extrêmement intéressante.
    Quelque chose m’échappe : pour l’oral, c’est bien une analyse linéaire qui est demandée ? Or, votre analyse est plutôt thématique. Est-ce plutôt une approche réservée à l’écrit ?
    Merci beaucoup

    • Bonjour Didier,
      Un grand nombre de textes que j’ai analysés sur mon site sont sous forme de commentaire composé. Depuis la réforme de 2020, on ne vous demande qu’une lecture linéaire à l’écrit, mais tu peux quand même utiliser mes commentaires composés pour compléter tes fiches à l’oral.

  • j’ai vu toujours cette fable depuis plus de trente ans dans les manuels de lectures utilisés dans les écoles; mais je n’ai même pris la peine de la lire. Je l’apprécie bien maintenant grâce votre commentaire très simple et très claire. beaucoup.

  • Dans l’introduction du commentaire, vous expliquez que les fables étaient faites pour plaire et instruire au lectorat de La Fontaine ; mais au 17ème siècle, ce n’était pas juste dit à l’oral, aux dauphins du Roi (il me semble que les fables de La Fontaine leur étaient destinées, mais je ne suis plus sûre 🙂 ) ?

  • J apprenais les fables dans un pensionnat il y a très longtemps, et si on insistait sur leur côté ludique, on ne critiquait pas l ordre établi et le pouvoir, heureusement, les choses ont changé

  • comment répondriez vous à la problématique: « qu’est ce qui rend cette fable ludique? »
    je trouve la question trop fermée, j’ai l’impression qu’elle exclue une trop grande partie de l’analyse, et n’arriverai pas à en parler pendant 10minutes…

  • Merci bcp pour toutes ses analyses ! Ayant un prof de français absent très souvent et en demande de remplacement à cause d’une absence prolongée, vos analyses me sauvent!

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