La mort et le bûcheron, La Fontaine : commentaire

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le bucheron et la mortVoici un commentaire de la fable « La Mort et le Bûcheron » de Jean de La Fontaine.

« La Mort et le Bûcheron », introduction :

La Fontaine publie ses Fables pendant le règne de Louis XIV.

En mettant en scène des animaux anthropomorphes dans la plupart d’entre elles, il entend porter un regard critique et subtil sur les mœurs de son temps et plus largement sur l’homme, tout en contournant la censure.

On assiste dans « La Mort et le bûcheron » à un phénomène rare chez le fabuliste : il met en scène un homme, accablé par le poids de son existence, et le confronte à la mort.

En ayant recours à la fiction en vue de plaire à son lecteur (I), il met en place une réflexion philosophique sur la mort mais également sur la société (II).

Questions possibles à l’oral de français sur « La Mort et le bûcheron » :

♦ En quoi peut-on dire que « La Mort et le bûcheron » est un apologue ?
♦ Sur quoi repose l’efficacité de cette fable ?
♦ Qu’est-ce qui fait la singularité de la fable « La Mort et le Bûcheron » ?
♦ Quels procédés déploie La Fontaine pour plaire et instruire son lecteur ?
♦ Quelle est la morale de cette fable et comment La Fontaine l’amène-t-il ?
♦ Que cherche à critiquer La Fontaine ?

I – Le plaisir de la fiction

A – Un récit court et efficace

La Fontaine construit « La Mort et le Bûcheron » comme un récit à part entière.

Il y met en scène deux personnages :

♦ Un Bûcheron malheureux qui croule sous le poids de son existence.

♦ La Mort, qui intervient brièvement comme un personnage: il s’agit donc d’une allégorie, représentation concrète d’une idée abstraite.

Par ailleurs, le fabuliste adopte ici la structure classique du récit :

♦ La situation initiale (v. 1-4) correspond au portrait du Bûcheron dont on comprend que l’existence est laborieuse et difficile.

♦ L’élément perturbateur (v. 5-6) arrive au moment où il décide de poser son fagot pour s’interroger sur sa vie et donc se lancer dans une démarche introspective.

♦ Son monologue intérieur, ses interrogations et ses constats sont comme des péripéties qui l’amènent à la conclusion que son existence est trop malheureuse (v. 7-12).

♦ L’arrivée de la mort est attendue comme une résolution. Or, on n’assiste pas à un vrai dénouement mais plutôt au retour à la situation initiale qui consiste à porter le lourd fagot (v. 13-16).

♦ A cela s’ajoute la morale énoncée par le narrateur, qui offre une réflexion sur la fiction qui vient d’être présentée au lecteur, pour l’inviter à réfléchir au rapport entre cette histoire et la vie réelle.

B – La vivacité rythmique de « La Mort et le Bûcheron »

La construction rythmique de la fable « La Mort et le bûcheron » vise à provoquer chez le lecteur une impression de vivacité.

Les vers ne sont pas tous de la même longueur : il s’agit donc d’une fable hétérométrique.

Les alexandrins des vers 1 à 10 confèrent au récit un rythme régulier, qui souligne la pénibilité du quotidien du Bûcheron en donnant une impression de pesanteur au lecteur.

Le vers 11, premier octosyllabe de la fable (« Le créancier, et la corvée » ), insiste sur la monotonie des vers précédents en opérant une rupture nette : il donne à ce titre l’impression d’un essoufflement, d’autant qu’il est suivi par un nouvel alexandrin.

De plus, l’énumération, associée à l’enjambement entre les vers 10 et 11 et à la conjonction de coordination « et », souligne le désespoir du Bûcheron face au poids de ses soucis.

Le rythme croissant du vers 11, binaire puis ternaire, et du vers 12, de nouveau binaire, renforce cette impression :
« Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts, / Le créancier, et la corvée ».

2                 3                 3               3                       4                         4

Par ailleurs, les octosyllabes isolés entre des alexandrins (v. 14-15) bouleversent le rythme installé du Bûcheron et insistent sur le caractère déstabilisant de l’arrivée de la Mort:
« C’est, dit-il, afin de m’aider /
A recharger ce bois ; tu ne tarderas guère
 ».

A ce titre, l’alexandrin du vers 13, scindé en deux propositions, souligne le caractère brutal de l’apparition de la Mort : après l’avoir appelée, son apparition est immédiate. « Il appelle la mort, elle vient sans tarder » (v. 13).

Le retour de l’alexandrin au vers 16 donne l’impression d’un retour à la situation initiale et donc au quotidien laborieux du Bûcheron.

Enfin, les heptasyllabes (vers de sept syllabes) qui constituent la morale de la fable, en instaurant un rythme nouveau, insistent sur le fait que la morale est disjointe de la fiction : elle correspond au regard distancé du narrateur.

Le schéma des rimes participe de cette impression de vivacité : on compte en effet des rimes embrassées (présentation du Bûcheron : « ramée » / « ans » / « pesants » / « enfumée » v. 1-4), des rimes suivies (quotidien malheureux du Bûcheron : « douleur » / « malheur » / « monde » / « ronde » v. 5-9), et des rimes croisées (apparition déstabilisante de la mort et morale : « tarder » / « faire » / « aider » / « guère » v. 12-16).

Enfin, l’usage de différents types de discours rapportés tels que le discours indirect libre, le discours indirect le discours direct contribuent également à la vivacité de la fable.

C – Une fable vivante

La vivacité du récit repose aussi sur la présentation du Bûcheron, du fait des images et des jeux sonores employés.

« Le Bûcheron », désigné par sa fonction, est caractérisé avec vivacité par des images liées au bois auquel il est associé : « ramée » (v. 1) ; « fagot » (v. 2) ; « chaumine ».

Par ailleurs, le fabuliste joue sur les sonorités pour rendre son récit vivant pour le lecteur.

Par exemple, l’allitération en « f » et en « s » au vers 2 donne l’impression d’un essoufflement, rendant la fatigue du Bûcheron présente au lecteur : « Sous le faix du fagot aussi bien que des ans».

Les termes monosyllabiques rendent audible le rythme de la marche du personnage au vers 2 : « Sous le faix du fagot aussi bien que des ans» .

L’allitération en « p » dans l’expression « pas pesants» (v. 3) fait entendre au lecteur le poids des pas fatigués du Bûcheron.

Enfin, la répétition du son « an » donne une impression de pesanteur qui illustre l’épuisement du Bûcheron : « Sous le faix du fagot aussi bien que des ans / Gémissant et courbé marchait à pas pesants, / Et tâchait de gagner sa chaumière enfumée» (v. 2-4).

A cela s’ajoute le fait que le but de son trajet n’est évoqué qu’à la fin de la phrase, soit au bout des quatre premiers vers (« Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée » ).

Cela crée un effet de retardement qui insiste sur la pénibilité du travail du bûcheron, accablé par le poids du fagot et des années.

Ces procédés, qui confèrent de la vivacité au portrait du bûcheron, sont d’autant plus efficaces qu’ils provoquent un contraste très fort avec l’apparition subite et brève de la Mort.

II – La morale de l’histoire

A – Un portrait pathétique

En usant du registre pathétique, La Fontaine insiste sur le malheur du Bûcheron, pour susciter l’émotion du lecteur.

Dès les premiers mots, le bûcheron apparaît comme un personnage qui souffre.

En effet, il est caractérisé par l’adjectif « pauvre» (v. 1), associé au champ lexical de la souffrance : « gémissant » (v. 3) ; « douleur » (v. 5) ; « malheur » (v. 6).

La Fontaine a recours à l’hyperbole pour insister sur l’état du Bûcheron et toucher le lecteur : « Enfin, n’en pouvant plus d’effort et de douleur» (v. 5).

L’adverbe « tout» et la préposition « sous » aux vers 1 et 2, associés au champ lexical de l’accablement, insistent sur la pénibilité de son travail et sa vie : « tout couvert » (v. 1) ; « sous le faix » (v.2) ; « courbé » (v. 3) ; « pesants » (v. 3) ; « effort » (v. 5).

A cela s’ajoute la double négation du chiasme au vers 9 :
« Point de pain quelquefois, et jamais de repos».

Enfin, l’adverbe « aussi bien» associé à la conjonction de coordination « et », d’autant plus quand elle est placée en tête du vers 4, suggèrent une accumulation de soucis accablant le Bûcheron :
« Sous le faix du fagot aussi bien que des ans /
Gémissant et courbé marchait à pas pesants, /
Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée 
» (v. 2-4).

Ce portrait pathétique accumulant les images de la souffrance s’achève comme avec peine.

C’est ce que suggère l’énumération, associée à l’enjambement des vers 10 et 11 et au passage furtif de l’alexandrin à l’octosyllabe qui donne l’impression d’un essoufflement :
« Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts /
Le créancier et la corvée
(impression essoufflement)
Lui font d’un malheureux la peinture achevée
 » (v. 10-11).

Or, une fois face à la Mort, le Bûcheron renonce à mourir et apparaît fortement déstabilisé.

En témoigne l’octosyllabe associé à l’enjambement entre les vers 15 et 16 qui donne l’impression qu’il n’ose pas aller au bout de son idée et qu’il se défile :
« C’est, dit-il, afin de m’aider /
A recharger ce bois
 ».

Le retour à la situation initiale est lui-même pathétique : il souligne le fait que le Bûcheron retourne volontairement à son malheur.

B – Une réflexion philosophique sur la mort

La morale de cette fable apparaît comme une réflexion philosophique.

La Fontaine entend énoncer une vérité sur l’homme et son rapport à la mort.

A cet effet, il emploie un présent de vérité générale, associé au pronom « nous » (v. 18) et au terme générique « les hommes » (v. 20) sur lequel se clôt le récit.

Il implique que les hommes n’ont pas le courage de mettre fin à une existence misérable, et qu’ils préfèrent s’acharner dans le malheur.

En témoigne l’alexandrin du vers 16, signe que le Bûcheron décide de retourner à son dur labeur : « A recharger ce bois ; tu ne tarderas guère. »

Or, ce vers apparaît ambigu.

En effet, on ne sait pas qui parle : cela peut être le Bûcheron, qui prévient la Mort qu’il ne la retiendra pas longtemps, ou la Mort elle-même, dont la parole lourde de menace promet au Bûcheron une mort prochaine.

Par cette menace implicite, le fabuliste insiste sur le fait que, même en sachant la mort proche, l’homme préfèrera toujours continuer de souffrir que s’y abandonner.

L’ambiguïté souligne l’absurdité d’une telle vérité.

C – Une réflexion sociale

On peut également voir dans cette fable une critique sociale subtile et déguisée.

Le fabuliste installe le personnage du Bûcheron dans un cadre réaliste qui invite le lecteur à réfléchir au sens de la fable au moment où elle est écrite.

L’énumération des préoccupations du Bûcheron évoque en effet des objets d’inquiétude très concrets pour le peuple des campagnes à l’époque de La Fontaine.

En effet, le bûcheron est soumis à la « corvée » :

♦ La corvée seigneuriale d’une part qui correspond à des journées de travail dues par les paysans à leur seigneur.

♦ La corvée royale, généralisée par Louis XIV, qui réquisitionne les paysans pour travailler gratuitement à l’entretien des routes et chemins de France.

Par ailleurs, Louis XIV mène de nombreuses guerres européennes, qui ont pour conséquences l’augmentation des impôts, et le pillage des campagnes par les soldats.

Subvenir aux besoins d’une famille apparaît dans cette perspective une tâche difficile, ce que souligne La Fontaine dans l’accumulation suivante : « Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts, / le créancier, et la corvée » (v. 10-11).

En dénonçant finement les injustices du régime de Louis XIV, le fabuliste montre que l’homme est accablé par l’homme, mais que par peur de mourir, il reste à sa place et accepte de subir sa misère.

« La Mort et le Bûcheron », conclusion :

Cette fable de La Fontaine apparaît comme un apologue, puisqu’elle délivre, au moyen d’une fiction plaisante pour le lecteur, une morale qui l’invite à la réflexion.

Plaçant une figure non pas animale mais humaine au cœur de son récit, Jean de La Fontaine parvient en même temps à faire une critique fine et acerbe des injustices causées par le régime de Louis XIV.

Il constate en même temps la misère de l’homme, prêt à accepter une vie de malheurs, démuni et effrayé qu’il est face à la mort.

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Amélie Vioux

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11 commentaires

  • Bonsoir,

    Suite à un commentaire sur cette fable, mon professeur me reproche : « La fontaine n’est pas un sociologue, les fables ne sont pas des textes engagés ». Je suis d’accord sur ces remarques, mais La Fontaine a choisi un bûcheron pas un courtisan ! Pourquoi ? Selon moi, c’était pour montrer les conditions difficiles du tiers-état et le pouvoir excessif et injuste du roi. Quand pensez-vous ?

  • Pour la deuxième problématique  » sur quoi repose l’efficacité de cette fable? » peut on faire le plan suivant :
    1. Plaire (fable)
    a. allegorie de la condition humaine
    b. renversement de la situation
    c. la morale

    2. Instruire
    a. récit
    b. tableau d’une condition humaine
    c. Image de la souffrance + critique sociale

    En fait ce qui me trouble, c’est le mot « efficacité », je ne comprends pas comment on peut répondre a cette question.

  • salut madame Amélie
    comment ça va ?
    s’il vous plait aidez moi
    si je tombe dans des questions comme lesquelles que vous avez mentionner en haut de page( à l’oral ) par quoi je dois répondre ?????
    merci d’avance

  • Bonjour/Bonsoir,
    Je me posais une question à propos de ce texte. J’ai étudié La mort et le bûcheron en parallèle avec La mort et le malheureux. Ma professeur de français nous a fournie les deux textes sur la même feuille. Si je tombe sur ce texte à l’oral, je dois analyser les deux fables ?
    Cordialement,
    Sara

    • Bonjour Sara,
      Si ton professeur vous a donné un commentaire comparé, c’est que tu dois effectivement comparer les deux textes dans ton analyse. Si tu as un doute, demande-lui s’il s’agit d’une simple lecture analytique ou d’un commentaire comparé des deux textes.

  • Ce site est vraiment GÉNIAL !! Grâce à vous je complète mes fiches pour l’oral, je pense que ça va m être très utile, merci pour tout ce que vous faîtes 🙂

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