Le vieillard et les trois jeunes hommes, La Fontaine : analyse

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le vieillard et les trois jeunes hommes analyseVoici un commentaire de la fable « Le vieillard et les trois jeunes hommes » de La Fontaine (1678).

Le vieillard et les trois jeunes hommes, introduction

« Le Vieillard et les Trois jeunes hommes » est une fable écrite par Jean de La Fontaine en 1678. (Voir les Fables de La Fontaine : fiche de lecture).

Cette période suit l’apogée du classicisme avec ses représentants célèbres comme Boileau, Molière, Racine.

Mais en cette fin des années 1670, une nouvelle approche de la littérature cherche à émerger. En effet, certains auteurs souhaitent s’émanciper de certaines règles classiques (comme la règle de la bienséance et de la vraisemblance) et du rapport aux textes anciens. C’est dans ce contexte que naît la célèbre Querelle des Anciens et des Modernes en 1677.

Dans cette analyse, nous verrons que la fable « Le vieillard et les trois jeunes hommes » de La Fontaine est un apologue vivant (I) dressant une satire de la jeunesse et de l’inexpérience (II) pour faire l’éloge de la sagesse et intervenir de manière polémique dans la querelle naissante entre les Anciens et les Modernes (III)

Questions possibles à l’oral de français sur « Le vieillard et les trois jeunes hommes »

♦ En quoi « Le Vieillard et les trois jeunes hommes » est-il un apologue ?
♦ Quelle est la morale de cette fable ?
De quoi La Fontaine fait-il la satire ?
♦ Dans quelle mesure cette fable fait-elle l’éloge de la sagesse ?
♦ Comment, à travers cette fable, La Fontaine prend-il parti dans la Querelle des Anciens et des Modernes ?

I – Une fable très rythmée

A – Un récit dynamique

La fable « Le vieillard et les trois jeunes hommes » est très dynamique.

Tout d’abord, l’alternance d‘alexandrins et d’octosyllabes instaure un rythme irrégulier qui rend le récit du fabuliste plus incisif et vivant.

Cette vivacité est accentuée par l’alternance entre les différents types de discours : discours direct et indirect libre.

Si la fable ouvre sur une narration « Un octogénaire plantait », elle est en effet suivie par un passage au discours indirect libre au vers 4 «Assurément il radotait».

Le dialogue entre les trois jeunes hommes et le Vieillard est ensuite rapporté au discours direct.

L’emploi important de la deuxième personne du pluriel rend ce dialogue encore plus dynamique: «je vous prie», «pouvez-vous», «il vous faudrait vieillir», «votre vie», «pour vous», «songez», «quittez», «à vous-mêmes». Les quatre personnages sont en permanente interaction.

Les phrases exclamativesmais planter à cet âge !») et interrogativesA quoi bon charger votre vie […] ?»)  contribuent à animer ce dialogue.

La vivacité de ce dialogue rapporté au discours direct donne l’impression que les personnages prennent vie sous les yeux du lecteur.

B – Un récit dramatique

« Le vieillard et les trois jeunes hommes » ressemble à une petite scène de théâtre.

Tout d’abord, le rythme resserré de l’octosyllabe fait songer à des stichomythies (échanges de répliques très courtes au théâtre).

Le parallélisme de construction entre les deux vers,
«Tout cela ne convient qu’à nous.
Il ne convient pas à vous-mêmes

crée également un effet d’échos entre le verbe «convient» et les pronoms personnels «nous» et «vous», ce qui renforce la violence de cet affrontement verbal.

La composition de la fable est également proche d’une tragédie.

La Fontaine oppose un «octogénaire» – il était rare de parvenir à 80 ans au 17ème siècle – et «trois jouvenceaux». Alors que la mort semble promise au vieillard, le lecteur ne peut qu’être terrifié par le dénouement tragique des trois Jouvenceaux.

Le terme «Jouvenceaux» rime d’ailleurs avec «tombeaux» au vers 27 ce qui prépare le lecteur à la fin tragique des trois jeunes hommes.

Le champ lexical de la mort vient sceller le destin des trois personnages : «tombeaux», «se noya», «jours emportés», «tomba», «leur marbre».

L’effet d’accélération créé par les verbes au passé simple «se noya», «vit», «tomba» montre que le destin tragique se déploie de manière soudaine, imprévisible.

Le parallélisme de construction «l’un des trois …/ L’autre … /Le troisième… » accentue le caractère inéluctable d’un destin qui s’abat méthodiquement sur chacun des jeunes hommes.

Mais comme dans la tragédie, le destin est ironique. Ainsi, le troisième jeune homme tombe d’un arbre «Que lui-même il voulut enter», ce qui fait écho au début de la fable «mais planter à cet âge !» comme si le destin se vengeait de l’insolence initiale du jeune homme.

Le sentiment tragique est accentué par la chute de la fable :
«Et pleurés du Vieillard, il grava sur leur marbre
Ce que je viens de raconter
».
Le lecteur comprend en effet qu’il lit une épitaphe comme s’il était devant la tombe des trois jeunes hommes.

Ce jeu d’énonciation inattendu place le lecteur en position de spectateur de tragédie pris de terreur et de pitié pour les jouvenceaux.

Transition : Pourtant La Fontaine donne une dimension morale et satirique à son apologue.

II – La satire de la jeunesse et de la vanité

A – La satire de la jeunesse

La Fontaine dresse une satire de la jeunesse, arrogante et conquérante.

Tout d’abord, l’opposition numérique entre «un octogénaire» et «trois Jouvenceaux» suggère une inégalité dans un combat verbal disproportionné.

Les jeunes hommes sont en meute, un procédé accentué par la discrète animalisation impliquée par le terme « jouvenceaux ».

Le point d’exclamation du 2ème vers (« mais planter à cet âge ! » ) et l’adverbe «assurément» au v.4 dévoile la certitude et l’assurance des trois jeunes hommes.

Leur façon de s’exprimer est presque blasphématoire avec la mention de Dieu au plurielau nom des Dieux») et le jeu de mot de l’incise «je vous prie» qui crée une ambiguïté entre la formule de politesse et l’acte de prière.

La comparaison «Autant qu’un patriarche» est également une façon pour les trois jeunes hommes de moquer le vieillard en le comparant aux grandes figures patriarcales de la Bible. Cette comparaison souligne leur impertinence.

Les trois jeunes hommes sont d’autant plus dépréciés qu’ils donnent du haut de leur inexpérience une leçon de vie au vieillard.

Les deux verbes à l’impératifNe songez» et «Quittez») utilisés par les jouvenceaux soulignent leur irrespect.

En outre, c’est une parodie de sagesse qu’ils proposent au vieil homme. En effet, leur philosophie est placée sous le signe de la médiocrité et de la fermeture comme le souligne la tournure restrictive « ne…que » :
♦ «Ne songez désormais qu’à vos erreurs»;
♦ «Tout cela ne convient qu’à nous».

En outre, les trois jeunes hommes utilisent de manière anaphorique la deuxième personne du pluriel «vous» :

Car au nom des Dieux, je vous prie,
Quel fruit de ce labeur pouvez-vous recueillir ?
Autant qu’un patriarche il vous faudrait vieillir.
À quoi bon charger votre vie
Des soins d’un avenir qui n’est pas fait pour vous ?
Ne songez désormais qu’à vos erreurs passées ;
Quittez le long espoir et les vastes pensées ;

Cette omniprésence du pronom «vous» trahit une incapacité des jeunes hommes à prendre une hauteur philosophique. Ils sont prisonniers du rapport interpersonnel qu’ils entretiennent avec le vieillard et ne parviennent pas à s’en extraire.

Leur philosophie est donc discréditée par La Fontaine.

B – La satire de la vanité

Cette fable est l’occasion pour La Fontaine de faire la satire du monde contemporain.

A travers la mort des trois jeunes hommes, le fabuliste dénonce la fragilité et la vanité du monde.

Pour narrer la mort des jeunes hommes, La Fontaine utilise un registre épique à partir des termes «port», «Amérique», «grandes dignités», «Mars», «République» qui font référence à la conquête et à la guerre.

Ce registre épique est toutefois immédiatement réduit à néant par l’ironie et le comique de situation.

En effet, la situation des trois jeunes hommes est ridicule : le grand voyageur meurt «dès le port», le grand guerrier meurt non dans un combat acharné mais «Par un coup imprévu». Quant au troisième jouvenceau, sa chute de l’arbre relève du comique de geste.

Transition : A la manière des moralistes du 17ème siècle, comme Pascal dans les Pensées, La Fontaine dénonce les vanités des grandes entreprises guerrières. Il fait à l’inverse l’éloge d’une sagesse raisonnable.

III – Un éloge de la sagesse

 A – L’éloge de l’expérience

La Fontaine fait dans « Le vieillard et les trois jeunes hommes » l’éloge de l’expérience et de la raison.

En effet, le vieillard oppose aux arguments des jeunes hommes la sagesse et la raison.

Tout d’abord, le vieillard utilise le présent de vérité généralevient», «dure», «se joue») ce qui donne un ton philosophique à sa réponse.

Le ton sentencieux de la phrase («[…] Tout établissement / Vient tard et dure peu ») est renforcé par l’enjambement.

De plus, il utilise des termes abstraits ou généraux qui relèvent du champ lexical du temps : «Tout établissement», «tard», «peu» «termes», «courte durée», «moment», «aujourd’hui», «demain», «quelques jours encore», «aurore». Ce champ lexical souligne son expérience.

Le vieillard propose en outre une philosophie épicurienne qui apparaît à travers le champ lexical du plaisir : «jouir», «plaisir», «fruit», «goûte».

La diérèse sur le terme «jouir» insiste sur le carpe diem (profite de l’instant présent).

B – Une intervention de La Fontaine dans la Querelle des Anciens et des Modernes

La fable « Le vieillard et les trois jeunes hommes » permet à La Fontaine de participer à la célèbre querelle des Anciens et des Modernes qui opposait les auteurs classiques au 17ème siècle.

Cette longue querelle, qui commence en 1677, oppose les Anciens qui prônent l’imitation des textes grecs et latins et les Modernes qui souhaitent innover.

La Fontaine se positionne très clairement aux côtés des Anciens dans cette querelle.

Dans la fable « Le vieillard et les trois jeunes hommes », il critique les modernes, qu’il juge arrogants et oublieux des traditions et fait du vieillard une allégorie du style ancien.

Pour La Fontaine, l’écriture classique est sage, philosophique, respectueuse des traditions comme en témoigne l’utilisation de la métaphore mythologique «La main des Parques blêmes» dans le discours du vieillard.

Le style classique est aussi un style poétique comme le montrent les assonances en [ui] qui donnent une musicalité aux propos du vieillard :

Hé bien défendez-vous au Sage
De se donner des soins pour le plaisir d’autrui ?
Cela même est un fruit que je goûte aujourd’hui :
J’en puis jouir demain, et quelques jours encore ;
Je puis enfin compter l’aurore
Plus d’une fois sur vos tombeaux.

Cette richesse de la langue des Anciens transparait aussi à travers la polysémie du terme « fruit » :
♦ Les trois jeunes hommes emploient le terme « fruit » dans un sens concret et économique : «  Quel fruit de ce labeur pouvez-vous recueillir ? »;
♦ Le vieillard emploie le terme « fruit dans un sens poétique et sensuel : »Cela même est un fruit que je goûte aujourd’hui
 »

Cette fable relève donc de manière inattendue du registre polémique, le vieillard représentant les Anciens, attachés à la tradition et à un langage à la fois philosophique, rationnel et poétique, les jouvenceaux représentant les Modernes discrédités par leur imprudence et leur arrogance et par l’irrespect choquant au 17ème siècle pour la tradition.

Le vieillard et les trois jeunes hommes, La Fontaine, conclusion

Par cette fable, La Fontaine participa à la querelle naissante entre les Anciens et les Modernes.

Attaché à la tradition littéraire, il affirmera au plus fort de la Querelle sa position en faveur des Anciens tout en déclarant : « On me verra toujours pratiquer cet usage /Mon imitation n’est point un esclavage ».

Ouverture possible : sur la fable « Le laboureur et ses enfants » où La Fontaine rappelle l’importance de respecter l’héritage des anciens.

Découvre mon analyse des livres 7 à 11 des Fables :

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Amélie Vioux

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7 commentaires

  • très beau commentaire! cependant plus explicitement voudrais je savoir la portée philosophique et morale des réflexions du vieillard.

  • Bonjour, le commentaire est excellent !
    Serait-il possible que vous fassiez un commentaire sur la tortue et les 2 canards svp 🙂
    Merci.

    • Bonjour Bradley,
      Merci pour ton message. Je n’ai pas prévu d’analyser cette fable : elle est moins souvent proposée par les professeurs au bac de français. Bon courage !

  • merci énormément pour ce incroyable commentaire , mais j’ai une demande s’il vous plait je voulais vraiment le commentaire de yassmina khadra ce que le jour doit à la nuit, je hâte de me répondre
    merci beaucoup.

    • Bonjour Wissam,
      Je n’ai pas l’intention de faire ce commentaire dans les mois qui viennent. Essaie de mettre en commun le travail de tes camarades et celui de ton professeur pour préparer cette lecture analytique.

  • Comme d’habitude, commentaire littéraire super complet et agréable à lire. Votre site est exceptionnel et m’aide beaucoup ! Merci 🙂

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