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Louis XIV
Voici un commentaire de la fable « Les membres et l’estomac » de La Fontaine ainsi que plusieurs problématiques possibles sur ce texte pour votre lecture analytique.
« Les membres et l’estomac » : introduction
La Fontaine écrit les Fables dans un but éducatif, entre 1668 et 1694 : elles sont dédiées au dauphin, fils de Louis XIV.
La fable « Les membres et l’estomac » étudiée ici (la deuxième du Livre III, publié en 1668) est, comme souvent, inspirée d’une fable d’Esope, qui a elle-même été reprise par Ménénius Agrippa au Vème siècle avant J-C, à l’époque de la Rome antique.
La Fontaine actualise la fable en l’inscrivant dans un contexte plus contemporain : vers 1650, une révolte populaire avait eu lieu, les Parisiens s’estimant floués par le pouvoir royal. Quelques années plus tard, on s’inquiète autour du roi de la possibilité d’une nouvelle révolte, provoquée par les taxes toujours plus importantes réclamées par Colbert, le ministre de Louis XIV.
Le roi est ainsi figuré par un estomac, tandis que les membres représentent le peuple.
Lire « Les membres et l’estomac » de La Fontaine (le texte)
Problématiques possibles sur « Les membres et l’estomac » :
♦ En quoi cette fable est-elle ambiguë ?
♦ De quelle façon La Fontaine démontre-t-il la nécessité de la monarchie et ses travers ?
♦ En quoi cette fable est-elle représentative de l’apologue ?
♦ Quelle est la force argumentative de cette fable ?
♦ Cette fable est-elle réellement un éloge du pouvoir royal ?
Annonce de plan
Après avoir étudié ce qui fait l’originalité de cette fable (I), nous verrons en quoi elle reste un apologue classique, avec une morale explicite, dans la lignée des autres fables de La Fontaine (II). Enfin, le double-sens et la morale plus implicite qui se cachent dans le texte seront mis à jour (III).
I – « Les membres et l’estomac » : une fable originale
A – Un schéma de rimes et de mètres varié
Le schéma des rimes est très irrégulier : on trouve dans cette fable aussi bien des rimes croisées ou alternées (royauté/ouvrage/côté/image), suivies (ressent/lassant) ou embrassées (gentilhomme/Gaster/air/somme), et ce dès les premiers vers.
Il en va de même pour le schéma métrique : bien que de nombreux vers soit des alexandrins, le ver « noble » particulièrement adapté pour un sujet sérieux (v. 5 à 14), on lit également quelques octosyllabes (par exemple les 4 premiers vers) et un unique décasyllabe (v. 15).
Ces irrégularités contribuent à la construction d’un apologue atypique, avec des rythmes très divers.
Ainsi, même lorsque plusieurs alexandrins se suivent, certains sont coupés à l’hémistiche (c’est-à-dire à la moitié, ce qui est une façon de faire traditionnelle, comme le v. 5 « S’il a quelque besoin, tout le corps s’en ressent.
» : la coupure est ici soulignée par une virgule), d’autres suivent un découpage plus original (3 puis 9 pieds comme au vers 8 : « Sans rien faire, alléguant l’exemple de Gaster
», ou une division encore plus hachée au vers suivant : « Il faudrait, disaient-ils, sans nous, qu’il vécût d’air
» : 3/3/2/4 pieds, marquée encore une fois par les virgules).
B – Des protagonistes inhabituels
Le récit même qui est fait se distingue des autres fables par ses protagonistes.
En effet, il n’est pas question ici d’animaux ou de plantes anthropomorphes, mais d’organes et de membres du corps : l’estomac (dès le v. 4), les mains (v. 14), les bras et les jambes (v. 15).
Les membres sont ainsi dotés du pouvoir de parler (« disaient-ils
», v. 9 ; « dirent
» v. 16), de raisonner et de prendre des décisions (« Chommons
», v. 13 ; « Ainsi dit, ainsi fait
», v. 14).
C – Un plan atypique
Le plan de la fable « Les membres et l’estomac » est lui-même atypique.
Alors que La Fontaine place en général sa morale au début (comme dans « Le loup et l’agneau ») ou à la fin (comme dans « Les animaux malades de la peste »), il commence ici par une introduction (v. 1 à 5), entame le récit, comme le montre le passage aux temps du récit (passé simple : « résolut
» v. 7 et imparfait : « disaient-ils
» v. 9), puis donne un premier élément de morale à partir du v. 24, marqué par un retour au présent de vérité générale (« peut s’appliquer
»).
Mais, au lieu d’arrêter son apologue sur cette morale, La Fontaine embraie sur un deuxième récit à partir du v. 33, introduit par un verbe de parole (« Menenius le sut bien dire
»). Il repasse ici aux temps du récit (« s’allait
» v. 34, « fit
» v. 41).
La morale se trouve donc au milieu de la fable, ce qui permet à La Fontaine de brouiller les pistes quant au véritable message de son apologue.
Transition : L’originalité de la fable est sans doute ce qu’on remarque en premier.
Cependant, une lecture plus attentive permet de constater que, malgré ces éléments surprenants, « Les membres et l’estomac » reste un apologue argumentatif dans la lignée des autres fables de La Fontaine.
II – « Les membres et l’estomac » : un apologue classique
A – Une forme classique d’apologue
Malgré toutes ces originalités, « Les membres et l’estomac » est une fable à la forme assez classique : des personnages qui représentent une certaine catégorie de personnes (ici, le Roi à travers l’estomac et le peuple via les membres), un récit court (18 vers, entre le v. 6 et le v. 23), amusant et didactique, qui comporte une morale.
B – L’appel à des figures d’autorité
Comme beaucoup d’autres fables de La Fontaine, « Les membres et l’estomac » est inspirée d’une fable d’Esope, grand fabuliste du monde grec à qui on attribue l’invention de la fable.
La fable d’Esope est intitulée « L’estomac et les pieds » et a une portée plus générale, puisqu’il conclut sur l’importance d’avoir de bons chefs plutôt qu’un grand nombre de soldats.
Une deuxième figure d’autorité est ici invoquée en la personne de Ménénius Agrippa (v. 33) par une prosopopée (figure de style qui consiste à faire parler un absent ou un mort) :
« Ménénius le sut bien dire
» .
Selon l’auteur romain Tite-Live, auteur d’Histoire romaine, Ménénius, alors consul, a conté cette fable d’Esope à la plèbe alors que celle-ci menaçait de quitter la cité.
On peut voir dans ce deuxième récit une sorte de mise en abyme, puisque La Fontaine raconte une fable dans laquelle un autre personnage raconte cette même fable.
De même que Ménénius parvient par son récit à apaiser la rébellion, La Fontaine utilise la fable pour donner une leçon au dauphin.
C – Apologie du roi à travers « Messire Gaster »
L’élément le plus traditionnel d’une fable est sans doute sa morale ; ici, elle est assez développée, car elle s’étend sur 8 vers (v. 24 à 32), marqués par le présent de vérité générale.
La Fontaine livre une apologie du pouvoir royal, comme le montre les substantifs mélioratifs « grandeur » (v. 24) et « grâces » (v. 31).
Cette grandeur royale est le sujet de la plupart des verbes de la morale : « reçoit et donne
» (v. 25), « fait subsister
» (v. 28), « enrichit
», « gage
» (v. 29), « maintient
», « donne paye
» (v. 30), « distribue
» (v. 31) et « entretient
» (v. 32).
Ces nombreux verbes d’action forment un contraste avec la passivité de l’estomac dans le récit, à qui on reproche de ne rien faire (« sans rien faire
» v. 8).
Cette fable semble ainsi être destinée à flatter Louis XIV. En effet, La Fontaine paraît justifier le pouvoir royal en affirmant qu’il est indispensable au bon fonctionnement de l’Etat (« Entretient seule tout l’Etat
» v. 32).
Transition : Comme les autres fables, « Les membres et l’estomac » présente donc un court récit ludique qui sert de base à une morale dont la visée est claire : faire l’apologie de la monarchie.
Cependant, certains indices laissent penser que l’objectif de La Fontaine est double : par cet apologue, il semble également émettre certaines critiques à l’encontre du Roi.
III – Une morale ambiguë
A – Une forme d’ironie
Certains signes indiquent que La Fontaine n’est pas aussi flatteur qu’on pourrait le penser.
Dans le premier vers, le verbe « devais » semble signifier qu’il n’avait pas le choix et qu’il était obligé d’écrire sur le roi, rendu ainsi coupable de restreindre la liberté des artistes :
« Je devais par la Royauté / Avoir commencé mon Ouvrage
» .
Mais La Fontaine reste assez libre, puisque même s’il « devait » commencer par la royauté, il n’en fait rien : cette fable n’est que la deuxième du livre III (la première étant « Le meunier, son fils et l’âne »).
L’expression « d’un certain côté
» dès le troisième vers peut laisser penser qu’il y a un double sens à la fable, qu’on peut lire de plusieurs façons :
« A la voir d’un certain côté, /Messer Gaster en est l’image
» .
Enfin, la morale n’est pas dénuée d’hyperboles : il paraît exagéré d’affirmer que le roi « distribue en cent lieues ses grâces souveraines
» (v. 31) ou que seul il « entretient […] tout l’Etat.
» (v. 32).
L’expression « l’exemple de Gaster
» (v. 8) apparaît également comme ironique, puisque dans cette fable le roi oisif est tout sauf un exemple à suivre.
B – L’opposition marquée entre le roi et le peuple
La Fontaine paraît plaindre le peuple plus qu’il ne justifie le pouvoir du roi.
Ainsi, il les prend en pitié et les qualifie de « pauvres gens
» (v. 18).
Dans le deuxième récit, le parallélisme entre le vers 36 (« Le pouvoir, les trésors, l’honneur, la dignité
») contraste fortement avec le vers 38 (« Les tributs, les impôts, les fatigues de guerre
»), et montre le peuple comme bien plus à plaindre que les puissants qui siègent au Sénat.
De même, la rime « gentilhomme » / « bêtes de somme
» insiste sur l’opposition entre le roi et son peuple. La comparaison avec des bêtes de somme montre une déshumanisation des sujets par le roi.
L’estomac, quant à lui, est le seul à avoir un titre (« Messire Gaster
»), qui crée un effet comique, tout d’abord parce qu’il semble ridicule d’attribuer à un simple organe un tel signe de respect, mais également parce qu’il est une référence à Rabelais : dans le Quart Livre, Pantagruel et ses compagnons rencontrent Gaster, une figure comique car il est sourd et ne peut communiquer que par signes (selon le proverbe : « ventre affamé n’a point d’oreille
»).
Cette référence renvoie au discours des membres, qui se plaignent ainsi de l’appétit de l’estomac (« Notre soin n’aboutit qu’à fournir ses repas
» v. 12).
C – Le rôle du discours rapporté
Par ailleurs, La Fontaine donne véritablement la parole aux membres grâce au discours direct (alors que l’estomac apparaît muet).
Du vers 9 au vers 13, la parole est aux membres, comme si La Fontaine faisait entendre les doléances du peuple qui croulait alors sous les impôts de Colbert, le ministre de Louis XIV.
Le discours des membres est renforcé par un rythme ternaire au vers 10 : « Nous suons, nous peinons, comme bêtes de somme
» et par la question rhétorique « Et pour qui ?
» (v. 11), qui visent à donner une légitimité à leur discours, qui se veut construit et logique.
« Les membres et l’estomac » : conclusion
Il semble ainsi que « Les Membres et l’estomac » se distingue des autres fables écrites par La Fontaine, tant dans sa forme que dans l’ambiguïté de la morale.
Il n’est pas étonnant qu’il fasse l’apologie du Roi, dans la mesure où il cherche à s’attirer ses faveurs ; mais l’autre interprétation de la fable en fait une mise en garde pour le dauphin et tous les hommes au pouvoir : le royaume ne fonctionne pas seul et un bon roi doit prendre en compte le travail de ses sujets et se montrer juste. Tout comme le roi, les sujets participent à la bonne marche d’un Etat.
Cette morale à double tranchant fait toute la force de l’apologue.
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merci beaucoup pour toutes les informations.
bonjours Amélie
j’ai une fable qui s’appelle » A Monseigneur le Dauphin » je doit donner un reçit et une moral mais je comprends rien pouvais vous m’aider svp
bonjour,
j’ai un probleme je voudrais savoir c’est quoi la morale de cette fables s’il vous plaît
Bonjour
Très utile pour compléter ma lecture analytique.
Cependant j’aimerais savoir avec quelle oeuvre faire l’ouverture :
– l’orateur démade, d’Esope
– le Cid, de Corneille (Acte 2 – Scène 2) qui propose une réflexion politique
– Le pouvoir des fables, La Fontaine
Merci pour votre réponse
Bonjour, ma prof nous a dit que la morale allait du vers 21 au vers 23, et qu’elle signifiait en gros qu’on ne voit pas tout le travail que fait un meneur. Alors je voulais savoir quelle est la bonne morale, ou si les deux sont justes ??
Bonjour Amandine,
La Fontaine fait bien l’apologie du roi : c’est la morale qui se dégage de la fable « Les membres et l’estomac ». Néanmoins, une deuxième lecture permet de pointer certaines ambiguïtés dans cette morale : c’est l’objet de mon troisième axe de lecture. Cette fable comprend donc plusieurs niveaux de lecture.
Avec la mienne on a bien compris, elle a commencé par découper le texte en faisant une lecture accompagnée.
merci car avec ma prof on a rien copris à ce texte qui est super dur !!! je comprends enfin de quoi parlais le texte !